lundi 19 avril 2021

OFL : 2 questions à Mr Jean-Luc LAGLEIZE

 

Monsieur le député Jean-Luc LAGLEIZE a signé un rapport sur la spéculation foncière et a fait adopter un amendement permettant la création d’Offices Fonciers Libres. Cette excellente idée mérite un débat plus approfondi.

 


(Photographie du député LAGLEIZE mise en ligne par le groupe MODEM)


Dissociation du foncier et du bâti ?

 

S’inspirant du mécanisme des Organismes de Foncier Solidaire (OFS), dont il a été fait état sur ce blog (les OFS pour sortir de l’enfer immobilier), Monsieur le député apparenté MODEM Jean-Luc LAGLEIZE a proposé la généralisation à tous les Français du dispositif permettant la dissociation du foncier et du bâti (intervention du 9 novembre 2019 sur youtube).

De la même manière que le présent blog a évoqué l’amendement de Madame la sénatrice ESTROSI-SASSONE sur la résiliation du bail d’habitation pour les trafiquants de drogue (lien), il convient d’analyser cette proposition du député LAGLEIZE, en ces temps où le projet de loi 4D (décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification) semble devoir accentuer le recours au bail réel solidaire.

La création d’Organismes Fonciers Libres (OFL) a été accepté par l’Assemblée nationale (session du 28 novembre 2019) puis rejetée par le Sénat.

Cette opposition de la haute assemblée pourrait sans doute être levée si une formulation problématique n’était plus employée.

Comme l’indiquent Xavier LIÈVRE et Florence CAUMES (« Bail réel solidaire : clarification de la nature du droit créé et quelques autres précisions », étude immobilier, JCP N, 18 décembre 2020, pp. 29 à 35), mieux vaut ne pas parler de dissociation entre le foncier et le bâti à propos des OFS.

Le Bail Réel Solidaire que peut conférer un OFS permet de dissocier la propriété d’un bien et un droit réel qui peut se limiter à l’usage d’un logement. Dans ce cas, le bâti reste propriété de l’OFS tout comme le foncier. Cette solution serait excellente pour faire disparaître la copropriété en difficulté, au lieu de se lancer dans des opérations très complexes d’expropriation des parties communes.

Un OFS ne peut, pour l’instant qu’accompagner certains ménages en fonction de leurs revenus. Un OFL pourrait sauver des immeubles où tous types de copropriétaires sont présents. L’OFL deviendrait propriétaire des parties communes à l’abandon, chaque copropriétaire ne devenant alors que détenteur d’un droit réel d’usage des logements, avec une obligation de redevance pour l’entretien des parties communes.

Pour montrer que les baux réels peuvent être au service de tous les Français, ne serait-il donc pas temps d’éviter l’affirmation selon laquelle les OFS, et éventuellement les OFL, servent juste à dissocier foncier et bâti ?

 

Gouvernance démocratique ?

 

Qui doit être à la manœuvre pour créer des OFS ou des OFL ? Les maires ? Les départements ? Les régions ? Les établissements publics intercommunaux lorsqu’ils disposent de délégations en matière de logement et d’urbanisme ? Le Parlement tranchera.

En tout état de cause, pour l’instant, les OFS sont des structures agréées concernant lesquelles il n’existe aucune obligation de représentation des habitants au sein du conseil d’administration ou du conseil de surveillance.

Dans le sigle MODEM, il semble qu’il y ait une allusion à la démocratie.

Que la collectivité nationale ou les collectivités territoriales gardent une participation importante à la gouvernance de structures utilisant des prérogatives de puissance publique, c’est bien naturel.

Que la population reste marginalisée semble bien plus inquiétant. Cela induit une fracture entre une technocratie arrogante rejetant toute évaluation et une population soumise et muselée.

En ces temps où l’on se plaint d’une opposition entre gouvernants et gouvernés, les habitants doivent avoir des représentants dans les structures de gouvernance des parties communes de leurs habitats collectifs.

Pour éviter la sclérose ou l’installation de notables inamovibles sous contrôle de barons locaux, ces représentants doivent être élus lors de scrutins pluralistes à bulletins secrets entre associations soumises à un agrément. Ce dernier les oblige à une indépendance vérifiée périodiquement vis-à-vis des enjeux politiciens et des entreprises prestataires de services.

C’est à cela que sert la saine concurrence entre CGL, CLCV, CNL, CSF et AFOC.

Monsieur le député LAGLEIZE compte-t-il améliorer sa proposition de loi en imposant une représentation démocratique des habitants dans la gouvernance des OFS et des OFL ?

lundi 12 avril 2021

Les OFS pour sortir de l’enfer immobilier

 

Inspirés par les Community Land Trusts américains, les OFS (Organismes de Foncier Solidaire) sont la piste la plus prometteuse pour sortir par le haut de la crise de gouvernance immobilière actuelle.



(La Manifacture de Nantes, près du siège de l'Union Régionale CGL Bretagne Pays de la Loire)


Spéculation, rigidité, complexité


La CGL a toujours été hostile au fait de traiter le logement comme une simple marchandise pouvant faire l'objet de spéculations par des accapareurs dénués de scrupules (voir son manifeste accessible à la page sur ce lien). C'est même là le coeur de son identité.

La hausse des prix de l’immobilier n’est pourtant pas vue partout comme la catastrophe qu’elle constitue. Des acteurs y voient un phénomène inévitable lié à l’identité nationale française (Nicolas TARNAUD « La pierre d’aujourd’hui », AJDI, juillet-août 2015, pp. 499-503).

L’engouement pour les achats immobiliers serait donc positif selon certains. Chaque ménage serait encouragé à acheter un petit bien pour le revendre assez vite avec une plus-value et ainsi de suite.

Cette vision du monde a induit un entretien insuffisant dans de nombreux immeubles collectifs placés sous le régime de la copropriété. Les copropriétaires souhaitant spéculer à court terme ont tout intérêt à laisser le syndicat dans l’inorganisation quand il s’y trouve (fiche copropriété n° 6 des Garanties Citoyennes) ou à le pousser vers la désorganisation en ne désignant pas de syndic (fiche copropriété n° 7 des Garanties Citoyennes).

En complexifiant la loi pour tenter d’encadrer les copropriétaires, les pouvoirs publics aggravent la situation (fiche copropriété 9 des Garanties Citoyennes).

Les défis de la pandémie et de la rénovation du bâti ne peuvent être relevés dans ces conditions.

Ce que les ménages sont en droit d’attendre, c’est un cadre simple, stable et qui s’adapte spontanément aux exigences nouvelles de l’administration.

Comment faire ?

 

Intéressante innovation d’Outre-Atlantique

 

Les usines à gaz comme la juxtaposition de syndicats secondaires et de syndicats principaux, la création d’unions de syndicats ou l’explosion des immeubles en petites entités sans gouvernance, ne sont pas des solutions satisfaisantes (fiche copropriété n° 10 des garanties Citoyennes).

Ce que voudraient les ménages, c’est pouvoir acheter le droit de jouissance des logements à un prix abordable, sans s’encombrer de la gestion des parties communes concernant lesquelles les exigences de l’État sont mouvantes et imprévisibles.

Ce nouveau rapport à la propriété immobilière a donné lieu à des réflexions intéressantes sur la déconnexion possible entre la propriété des éléments d’un immeuble qui relèvent du bien commun et l’usage des logements, qui est la seule chose réellement recherchée par les ménages [Sarah VANUXEM, Caroline GUIBET LAFAYE, Repenser la propriété, un essai de politique écologique, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2015, 191 p. et Sylvette DENÈFLE (dir.), Repenser la propriété. Des alternatives pour habiter, Presses universitaires de Rennes, 2016, Rennes, 220 p.].

Cette idée avait été lancée dès les années 1970 avec l’ambition de créer des offices fonciers communaux qui auraient été propriétaires des sols et du bâti et qui auraient attribué à chaque ménage la jouissance d’un bien immobilier pour 99 ans [Edgard PISANI, Utopie foncière, Paris, Editions du Linteau, réédition de 2009 (édition originale, Gallimard, 1977), 235 p.].

En 1969, une expérience très intéressante a été lancée aux États-Unis en Géorgie pour assurer l’usage de terres à des agriculteurs afro-américains. Ainsi naquirent les Community Land Trusts (CLT) qui, dans les années 1980, se sont répandus dans les villes (Susannah BUNCE et alii, Urban Community Land Trusts, 2013).

 

Retranscription corporatiste française

 

Des acteurs non juristes ont décidé de reprendre le terme américain de CLT en France pour se constituer une niche institutionnelle plus que pour citer de manière détaillée les travaux des chercheurs d’outre-Atlantique.

Un lobby s’est donc constitué pour prétendre parler au nom de tous les partisans des Community Land Trusts en France, ce qui est absurde puisque jamais, aux États-Unis ou au Canada, les divers CLT n’ont parlé d’une seule voix. Ce sont, en Amérique, des structures nées des efforts de la base qui ne souhaitent pas se soumettre à une élite centralisée.

Néanmoins, le législateur, en 2014, a écouté le lobby technocratique, ce qui n’est d'ailleurs pas un drame car l'innovation induite est intéressante.

Le modèle français suivi est cependant perfectible car il est trop marqué par le corporatisme. Des notables prétendent capter un champ d’activité en le fermant à tout intervenant professionnel plus compétent.

Sous cette réserve, l’innovation législative française ouvre une voie qui pourrait être excellente. En effet, la loi permet la création d’OFS (Offices de Foncier Solidaire), des structures agréées pouvant délivrer des BRS (Baux Réels Solidaires) (voir fiche acquéreurs n° 5 des Garanties Citoyennes).

Il appartient désormais aux citoyens de faire en sorte que cette innovation puisse être mise en place de manière démocratique, en veillant, notamment, à ce que des représentants élus des habitants siègent dans les conseils d’administration de ces OFS, au lieu d’en confier la gestion aux seuls réseaux issus du copinage technocratique.

 

Approfondissement de la réflexion juridique

 

Fort heureusement, la réflexion sur les BRS a été riche (Vincent PERRUCHOT-TRIBOULET, « Le bail réel solidaire », Annales des loyers, octobre 2016, pp. 113 à 123, Xavier LIÈVRE et Florence CAUMES, « Bail réel solidaire : comment faire face à deux phénomènes nouveaux, l’extinction du BRS opérateur et la copropriété ‘‘sans sol’’ », étude immobilier, JCP N, 11 janvier 2019, pp. 29 à 33, Agnès LEBATTEUX et ‘‘Espacité’’, « Etude d’opportunité pour l’intervention d’un organisme de foncier solidaire sur le parc de copropriétés fragiles ou dégradées », DREAL Provence-Alpes-Côte d’Azur, juillet 2019, 36 p., Xavier LIÈVRE et Florence CAUMES, « Bail réel solidaire : clarification de la nature du droit créé et quelques autres précisions », étude immobilier, JCP N, 18 décembre 2020, pp. 29 à 35).

Plusieurs avis s’opposent mais ils sont tous bien étayés, contrairement aux éléments de propagande de la corporation technocratique qui prétend avoir le monopole du discours sur les CLT en France.

Xavier LIÈVRE et Florence CAUMES, qui intervient pour les COOP de HLM, ont même une position tout à fait convaincante.

Pour eux, un organisme de foncier solidaire peut délivrer un bail réel solidaire sur la seule jouissance du logement, les parties communes restant détenues par l’OFS.

Cette solution est évidemment la meilleure pour sortir du chaos en copropriété.

Les résistances prévisibles émanent de tous ceux qui ont profité durant des décennies de la hausse continuelle des prix. Les associations agréées de locataires doivent justement lutter contre la spéculation et ceux qu’elle engraisse en valorisant des solutions comme celle des OFS.

C’est ce que fait la CGL ici, en sachant qu’elle a pour tâche d’intervenir afin d'améliorer le débat démocratique au sein des OFS.

samedi 10 avril 2021

Habitat inclusif : comment faire mieux ?

 

La loi ELAN du 23 novembre 2018 a créé l’habitat inclusif qui permet à des personnes âgées ou en situation de handicap de vivre au cœur de la cité sans être enfermées dans des établissements. Cette excellente idée mérite d’être améliorée concernant la gouvernance.






Une innovation intéressante

 

Selon l’article L. 281-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF), introduit par la loi ELAN du 23 novembre 2018 :

« L'habitat inclusif est destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui font le choix, à titre de résidence principale, d'un mode d'habitation regroupé, entre elles ou avec d'autres personnes […], et assorti d'un projet de vie sociale et partagée défini par un cahier des charges national fixé par arrêté des ministres chargés des personnes âgées, des personnes handicapées et du logement. […] »

L’idée est excellente. Elle vise à assurer le maintien des personnes âgées ou en situation de handicap dans leurs propres domiciles tout en facilitant les services rendus à ces personnes, notamment grâce à des espaces partagés où les personnels nécessaires peuvent intervenir.

Cette solution est bien plus économique que le placement en résidence.

Le texte législatif est néanmoins difficile à lire, car encombré d’exemples inutiles introduits par les mots « notamment » ou « le cas échéant ». Ces exemples ont été retirés de la citation ci-dessus car ils n’apportent aucun élément d’information au lecteur.

Les simples exemples donnés par le législateur à titre d’illustration ne devraient d’ailleurs plus encombrer la loi mais être contenus dans des circulaires…

 

Dépendance inquiétante

 

L’article L. 281-2 du CASF ajoute :

« Il est créé un forfait pour l'habitat inclusif pour les personnes mentionnées à l'article L. 281-1 pour le financement du projet de vie sociale et partagée, qui est attribué pour toute personne handicapée ou toute personne âgée en perte d'autonomie résidant dans un habitat répondant aux conditions fixées dans le cahier des charges national mentionné au même article L. 281-1. Le montant, les modalités et les conditions de versement de ce forfait au profit de la personne morale chargée d'assurer le projet de vie sociale et partagée sont fixés par décret. »

Suite au décret n° 2019-629 du 24 juin 2019, l’article D 281-1 du CASF précise que la personne morale chargée du projet a pour rôle de définir le projet en partenariat avec les habitants, d’animer et réguler la vie quotidienne de l’habitat inclusif, d’organiser des partenariats notamment avec les personnels médico-sociaux et sanitaires, de déterminer des activités à mener et d’assurer le cas échéant les relations avec le propriétaire.

Un forfait financier pour l’habitat inclusif est versé concernant certains publics en perte d’autonomie ou affectés d’un certain degré de handicap (article D 281-2 du CASF).

Le forfait est versé au porteur de projet retenu par l’Agence régionale de Santé suite à un appel à candidatures et obéissant au cahier des charges national (article D 281-3 du CASF). Le forfait n’est donc pas versé aux habitants qui sont donc placés dans une forme de dépendance à l’égard de la logique d’établissement, même si des modifications sont en cours suite à un rapport important (Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous).

 

Flou démocratique inacceptable

 

L’arrêté du 24 juin 2019 définit le cahier des charges national du projet de vie partagée.

L’article 4 de ce cahier des charges est intitulé « le projet de vie sociale et partagée ». Il indique :

 

« Les habitants et, le cas échéant, leurs représentants, élaborent et pilotent, avec l'appui du porteur, le projet de vie sociale et partagée.

 

Celui-ci propose a minima la mise en place d'activités destinées à l'ensemble des habitants (mais sans obligation de participation). Il peut s'agir d'activités de convivialité, sportives, ludiques ou culturelles, effectuées au sein ou à l'extérieur de l'habitat inclusif.

 

L'objectif du projet est donc de favoriser le « vivre ensemble », pour limiter le risque d'isolement de publics parfois fragiles. La temporalité de ces activités doit être réfléchie afin de coïncider avec les rythmes de vie de chacun. Le projet de vie sociale et partagée, dès sa conception, doit intégrer la prévention de la perte d'autonomie d'une part, et d'autre part, l'anticipation des risques d'évolution de la situation des personnes.

 

L'appui aux habitants d'un dispositif d'habitat inclusif se fait dans quatre dimensions :


- la veille et la sécurisation de la vie à domicile ;

- le soutien à l'autonomie de la personne ;

- le soutien à la convivialité ;

- l'aide à la participation sociale et citoyenne.

L'importance de l'une ou l'autre des dimensions doit cependant être modulée selon les caractéristiques et les souhaits des habitants.

Le projet de vie sociale et partagée se formalise dans une charte, conçue par les habitants de l'habitat inclusif avec l'appui du porteur, ou qu'ils acceptent en cas d'emménagement postérieurement à son élaboration. Cette charte peut également être signée par des tiers participants activement au projet de vie sociale et partagée, notamment par le bailleur.

Dans le parc social et les logements-foyers, une attribution ne peut être conditionnée par l'acceptation de la charte.

Le projet de vie sociale et partagée doit satisfaire, sur le long terme, les habitants. Pour cela, ils sont consultés régulièrement, conformément aux dispositions prévues par la charte, afin d'ajuster le projet si besoin est. »

Au-delà du très vague « vivre ensemble », trois questions concrètes se posent. Quelles sont les modalités de consultation des habitants ? En quoi consiste l’aide à la participation citoyenne ? Que signifie la modulation de cette dernière en fonction des caractéristiques des habitants ?

 

Précautions à prendre

 

Le fait que des publics vulnérables du fait de leur handicap ou de leur perte d’autonomie soient présents ne permet pas d’être flou sur l’expression de la volonté des acteurs, surtout si l’on prétend leur faire accepter une charte.

La conquête d’un véritable pouvoir d’agir par des publics vulnérables impose des contraintes réelles au porteur de projet, et non une validation technocratique arrogante obtenue par copinage. Le discours sur la participation sociale et citoyenne doit quitter le domaine des proclamations sans conséquences.

Si un habitant n’a soudainement plus la capacité d’exprimer sa volonté, il faut organiser juridiquement la place de ceux qui pourront défendre son point de vue sans conflit d’intérêts avec le porteur de projet, qui ne doit pas cumuler toutes les prérogatives ni devenir juge et partie.

Astreindre les porteurs de projet à relever de l’économie sociale et solidaire permettrait de leur imposer des règles donnant un rôle juridique clair et vérifié aux habitants ou à leurs curateurs, voire à leurs tuteurs.

Cette position a été proposée récemment (voir Thierry POULICHOT, « L’Habitat inclusif, au-delà du flou », Annales des loyers, janv. févr. 2021, pp. 45 à 52, en notant qu’au deuxième paragraphe de la page 46 s’est glissée une faute de frappe, puisqu’il faut lire « L. 200-1 » du CCH à propos de l’habitat participatif et non « L. 400-1 »).

L’idéal serait évidemment la constitution entre habitants de coopératives d’habitat inclusif régies par le statut de la coopération de 1947 et donnant, dans leurs statuts, de vraies garanties aux citoyens (voir fiche acquéreur n° 9 des Garanties Citoyennes). Dès à présent, c’est juridiquement possible mais cela impose une pression réelle émanant des habitants et de ceux qui les accompagnent sans perspective marchande, et notamment les associations agréées.

samedi 3 avril 2021

4 questions à Mme ESTROSI-SASSONE

 

Madame ESTROSI-SASSONE est une sénatrice très intéressée par le droit immobilier. Pourtant, elle a obtenu l’adoption par le Sénat d’un étrange amendement dont on peut se demander s’il a été réfléchi.


 Pourquoi nous vous adressons ce message

 

Madame la Sénatrice,

 

Vous êtes l’une des élues les plus actives en matière de droit immobilier. Vous travaillez régulièrement à ce sujet avec vos collègues de tous bords (voir le rapport établi sous votre direction sur la Lutte contre l’habitat indigne).

C’est à vous que l’on doit le vote par correspondance en copropriété qui constitue une avancée très positive (même si d’autres structures ne partageraient pas forcément l’avis exprimé ici…).

Dans la mesure où vous auditionnez des intervenants divers lors des rapports que vous établissez (notamment la FNAIM dans le rapport précité), il nous appartient, à la CGL, de vous convaincre de nous convier à nous exprimer devant vous lors du prochain rapport que vous établirez contre les marchands de sommeil.

 

L’axe barons de la drogue – marchands de sommeil existe-t-il ?

 

Si nous souhaitons être auditionnés par le Sénat, ce n’est pas pour parler football (même si vous soutenez publiquement l’OGC Nice et certainement pas du Stade Rennais ou le Stade Nantais…), mais plutôt à propos de sujets moins plaisants, surtout pour nos adhérents.

Sur twitter, le 21 mars 2021, vous avez émis le message suivant :

« Adoption de mon amendement visant à résilier de plein droit le bail en cas de condamnation pénale d’un locataire ou d’un occupant du foyer pour trafic de drogue. Les bailleurs sociaux doivent avoir des outils adaptés pour répondre rapidement à ces atteintes #PPLSécuritéGlobale » (lien).





Et effectivement, le trafic de drogue est un problème majeur qui empoisonne la vie des habitants de nombreux quartiers, y compris en Bretagne historique, et notamment à Nantes, Rennes et à Vannes.

Or, les marchands de sommeil, les communautaristes les plus radicaux et les trafiquants de drogue forment une coalition hostile à la République. Les événements tragiques de novembre 2015 l’ont montré.

Les marchands de sommeil profitent de l’existence de toute une population marginalisée qui n’a pas d’autre choix que d’accepter de vivre dans des lieux non décents. Elle est alors encore plus dépendante des grands trafiquants et des leaders religieux extrémistes, parfois alliés.

Ne nous y trompons pas ! Le pire ennemi de la République est le chef de gang et non le petit dealer, et encore moins la famille du dealer, même si ce dernier doit subir les foudres de la Justice, bien entendu.

Plus on marginalise la famille du dealer, plus elle est dépendante du chef de gang. Pour lutter contre le loup enragé, on ne lui donne pas de la nourriture. On lui fait encore moins un soin des griffes pour que ces dernières soient plus acérées. On le met en cage tout en lui administrant d’office un vaccin antirabique.

Pour inciter les populations proches des dealers à changer de voie, il faut renforcer les enjeux démocratiques en donnant plus de pouvoirs aux habitants qui sont acceptés par leur voisinage, ce qui conduira les familles de trafiquants à changer d’attitude. C’est possible. Nous pouvons vous le prouver. À l’inverse, ostraciser des individus non liés directement aux trafics mais qui pourraient être happés par des dynamiques criminelles ne nous semble pas idéal.

D’où les réserves que l’on peut avoir sur votre amendement récemment adopté, d’autant que la procédure, qui n’a pas permis des consultations larges antérieures, n’est peut-être pas adaptée.

 

Un amendement cavalier ?

 

Ainsi, par votre amendement, un article relatif au bail d’habitation est introduit dans la loi sur la sécurité globale.

Est-ce conforme à l’article 45 de la Constitution qui interdit les cavaliers législatifs, c’est-à-dire les amendements sans lien même indirect avec le projet de loi déposé ? Il appartiendra au Conseil constitutionnel de se prononcer.

Vous qui avez été rapportrice de la loi ELAN au Sénat (voir votre rapport), vous connaissez bien ce problème puisque plusieurs articles de la loi ELAN ont été retoqués en tant que cavaliers… (voir Conseil constitutionnel, 2018-772 DC, 15 nov. 2018, point 61).

L’attitude du Conseil constitutionnel est légitime. C’est justement pour permettre un débat approfondi avec les acteurs représentants tous les intérêts légitimes en présence qu’il sanctionne les cavaliers législatifs.

 

Une atteinte à la liberté contractuelle ?

 

Ce qui est encore plus inquiétant, dans votre amendement, est le fait qu’il comprenne le texte suivant :

« La clause résolutoire prévoyant la résiliation de plein droit du contrat en cas d’inexécution des obligations du locataire résultant de troubles du voisinage constatés par décision de justice passée en force de chose jugée est réputée écrite dès la conclusion du contrat ».

Le Conseil constitutionnel a rappelé que la liberté contractuelle ne peut être invoquée devant lui qu’autant qu’elle est le support d’une autre liberté constitutionnellement protégée (décision n° 97-388 DC, 20 mars 1997, point 48).

Or, le droit au logement, du côté du locataire (décision n° 94-359 DC, 19 janvier 1995, point 7), ou le droit de propriété, du côté du bailleur (décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, point 16), sont constitutionnellement protégés.

Que l’on commence à ajouter des éléments dans un contrat n’importe comment est donc très préoccupant. Votre parti, Les Républicains, indique souvent défendre les propriétaires immobiliers. Les conséquences à leur égard pourraient un jour être fâcheuses si l’on mettait le doigt dans un tel engrenage.

 

Une sanction pénale pour le fait d’autrui ?

 

En outre, selon votre amendement, si le locataire ou l’un de ses enfants mineurs commet un délit relatif au trafic de stupéfiants dans l’immeuble, dans le groupe d’immeubles ou dans l’ensemble immobilier, et qu’une condamnation définitive intervient, le bail peut être résilié de plein droit, c’est-à-dire automatiquement.

Que deviennent ensuite les autres enfants mineurs en cas d’expulsion ? Est-il normal qu’ils soient sanctionnés pour des fautes qu’ils n’ont pas personnellement commises ?

Bien entendu, le trafic de drogue est une abomination et il faut le combattre. Ceux qui le commettent doivent être sanctionnés et envoyés en prison ou en établissements éducatifs adaptés concernant les mineurs. Si la famille des trafiquants a bénéficié financièrement de leur présence, elle peut être sanctionnée, là encore, conformément à la loi.

Toutefois, les membres de leurs familles qui ne sont pas coupables doivent-ils pour autant être privés de logements ? Le Conseil constitutionnel n’apprécie pas vraiment les présomptions de culpabilité ainsi que les sanctions imposées à un individu pour un fait répréhensible commis par d’autres que lui (Décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, point 5).

Néanmoins, là encore, Les Républicains pourraient être les premiers surpris des conséquences d’une violation de la Constitution si tous les proches des notables profitant indirectement du trafic de stupéfiants, ainsi que les proches des marchands de sommeil, étaient punis.

Vous connaissez parfaitement le monde de l’immobilier. Vous savez que des entreprises profitent de la vente de logement dans des ensembles immobiliers en perdition. Cela a provoqué l’effondrement des valeurs républicaines dans des villes entières (voir Les Marchands de sommeil ? Sont-ils les seuls coupables ? pp. 37 à 44).

Votre parti politique n’est certainement pas celui qui bénéficie, directement ou indirectement, de ces dérives. En effet, nous voyons à présent des brigades informelles communautaristes se substituer aux autorités établies dans les rues (comme dans une ville francilienne où un groupe constitué sur une base religieuse s’est permis d’expulser des squatters d’une communauté concurrente, tout en s’en vantant devant la presse...). Comprenez donc notre inquiétude ! Nous sommes à votre disposition pour évoquer tous ces sujets.

 

Recevez, Madame la Sénatrice, l’assurance de notre considération distinguée.

Reconquête démocratique de l’habitat

 

Depuis les années 1990, un abandon de l’espace public et privé à des bandes fut pratiqué. Aujourd’hui, certains s’étonnent pourtant des effets de la subornation de témoin sur les populations des quartiers concernés. Une reconquête démocratique est nécessaire.

 


(Bibliothèque de la Manu à Nantes près du siège de la CGL 44)



S’inspirer du modèle d’Archipelia

 

Fondé en 2001, Archipelia est un centre social situé 17 rue des Envierges (75020 Paris, voir https://www.archipelia.org/), près de l’esplanade du haut Bellevelle, juste à côté des 26 et 28 rue Piat. Cette esplanade a longtemps été un haut lieu du trafic de drogue sur Paris.

Archipelia fournit des activités pour la petite enfance, de l’accompagnement scolaire, des activités musicales pour les jeunes, de l’accès au droit (avec écrivains publics), de la formation à l’informatique, de la gestion d’un jardin partagé, des activités autour de la mémoire pour les séniors, des fêtes de quartiers et des rencontres culturelles. Il fut un temps où Archipelia conduisait aussi des opérations d’alphabétisation pour les étrangers.

Cette réussite est un modèle à répandre partout. Chaque immeuble des quartiers populaires de France, y compris en Bretagne, devrait bénéficier de telles activités et pourrait attribuer, en son sein, des espaces à des structures similaires. Ainsi, un flux continu de personnes extérieures au quartier serait convié dans les lieux publics ou communs.

Le primat accordé à ce regard extérieur est l’un des traits les plus intéressants de la mouvance se réclamant de l’habitat participatif, même si l’on peut aussi lui reprocher à la fois la complexité des solutions juridiques proposées (lien) et la diminution des droits des consommateurs (lien). Le meilleur, à savoir l’ouverture aux autres, doit néanmoins être repris. Des rencontres avec des associations d’autres quartiers plus favorisés pourraient, notamment, être régulièrement organisées.

Même si les trafics ne disparaitraient pas comme par enchantement, cela offrirait des perspectives intéressantes autres que l’embrigadement dans des mafias aux populations qui vivent à proximité des trafiquants.

Ces derniers, qui sont certes malhonnêtes, sont tout sauf des imbéciles. Ils ne veulent pas attirer l’attention sur eux-mêmes. Ils ont ainsi appris à laisser tranquilles les bénévoles d’Archipelia, rapidement identifiés, et tous ceux qui viennent à la rencontre du centre social. Et c’est un ancien bénévole, ayant vécu dans le quartier à proximité plusieurs années, qui vous le dit.

 

Éviter le modèle capitulard

 

Malheureusement, certains n’approuvent pas la démarche d’Archipelia.

On se souvient de la délégation de conseillers syndicaux du 28 rue Piat reçue par un élu qui les avait invités à accepter que la police laisse proliférer les trafics de manière apparente pour mieux repérer les dealers.

Dans cette perspective, on abandonne les espaces publics et les parties communes des immeubles privés ou sociaux au contrôle des dealers.

Le résultat final est le moment où un député explique à la télévision qu’il a dû demander l’autorisation d’un dealer pour entrer dans un quartier afin d’y examiner la réalité pour évaluer les financements de l’ANRU (lien).

Certains sont manifestement en train de capituler face aux ennemis de la République, comme les apparatchiks rentiers incompétents du haut commandement et de l’administration française en mai-juin 1940.

Dans de très nombreux immeubles, au lieu de reprendre le modèle qui a marché à Archipelia et de l’approfondir (ce que l’on pourrait faire même dans le quartier de Belleville à Paris), on ne fait strictement rien. Des barres d’immeubles entières existent en marge de la ville sans aucun contact avec le milieu associatif des beaux quartiers et des zones périphériques.

On est ensuite tout surpris d’avoir deux mondes qui se font face, tout en assistant à la décomposition civique de la Nation.

Aussi, les associations agréées de consommateurs compétentes en matière d’habitat doivent prendre leur part dans le combat à mener. Au lieu de pratiquer une participation symbolique ou technocratique, elles se doivent de mettre en place ces activités concrètes au service des habitants, et cela dans un cadre pluraliste, avec des élections à bulletins secrets dans un cadre allant au-delà de l’immeuble, pour éviter tout risque de représailles de la part des dealers. La loi prévoit les valeurs qui doivent être respectées dans le cadre du débat pluraliste nécessaire (article 44 alinéa 1 de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986).

Dans le présent blog, la CGL contribue à son travail d’accès au droit, même si elle peut et doit faire plus immeuble par immeuble.

Ainsi, on pourra valoriser l’activité des militants les plus performants.

 

Inévitable subornation

 

Hélas, les barons de la drogue les mieux organisés n’auront aucun souci avec l’évolution préconisée ci-dessus. Au contraire. La disparition des espaces dont s’emparaient des jeunes désœuvrés dans des quartiers difficiles diminuera le nombre de lieux de ventes incontrôlés.

Cela ne signifiera pas que le trafic diminuera. Il s’adaptera en adoptant un modèle tupperware ®. Surtout, les lieux de vente se concentreront dans l’habitat privé difficile où les locataires sont bien moins facilement organisés.

On doit alors parler de l’alliance objective entre marchands de sommeil et trafiquants de drogue, et surtout préparer la riposte nécessaire.

Toute une génération de propriétaires dénués de scrupules s’est emparée de quartiers entiers (voir Les Marchands de sommeil. Sont-ils les seuls coupables ? p. 31). Ce sont des centaines de milliers de personnes et leurs familles qui violent la loi et qu’il faudrait punir. Le fera-t-on vraiment ?



Sur internet, les marchands de sommeil tentent même de s’arroger le monopole de l’information juridique sur divers forums, laissant les questions gênantes pour eux sans réponse et harcelant tout intervenant hors de leur contrôle.

Inspirés par leurs alliés barons de la drogue, les marchands de sommeil n’hésitent pas à pratiquer la subornation de témoins (réprimée par l’article 434-15 du Code pénal) afin d’intimider ceux qui évoquent des délits commis.

Là encore, le rôle des associations agréées comme la CGL est important. Elles doivent souligner combien un véritable accès au droit est incompatible avec l’anonymat des délateurs (lien), avec l’usurpation de l’identité de professionnels établis (lien) ou avec la pratique des discriminations (lien). Rejoignez la CGL qui est à la pointe de ce combat !

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