La lutte contre
les discriminations ne doit plus être un sujet tabou dans l’immobilier. Le
racisme et les tensions s’accentuent en copropriété. Ce n’est pas un hasard.
Parlons-en !
Racisme en copropriété
Marie-Pierre
LEFEUVRE, dans son ouvrage devenu classique (La Copropriété en difficulté : faillite d’une structure de
confiance, Editions de l’Aube,
186 p., 1999), avait déjà souligné la prégnance de discours de stigmatisation contre
certaines populations en copropriété.
Cette auteure
remarquait la propension de certains syndics à opposer les Français et les
autres populations (p. 41). Elle relevait aussi des récriminations de certains
copropriétaires contre des groupes en bloc comme les « Vietnamiens »
(p. 53) ou les « Maliens » (p. 55).
Ces attitudes,
constatées au début des années 1990, n’ont pas disparu, comme le montre la
jurisprudence.
Un phénomène persistant
La Cour de
cassation a pu relever des problématiques similaires dans certaines affaires.
Un copropriétaire
a ainsi entendu, en assemblée générale, un individu s’en prendre à un autre
copropriétaire avec les mots suivants : « Ne me
postillonne pas dessus, étranger, car tu as le sida - Dégage et retourne dans
ton pays ». L’individu proférant ces horreurs, dont le
copropriétaire injurié a pensé qu’il pouvait s’agir du syndic, n’a pas été
formellement identifié, ce qui a interdit toute condamnation (Cass., 2e
civ., 29 avr. 1998, n° 96-14.738).
Dans un immeuble à
Haguenau en Alsace, un copropriétaire ne supportait pas la présence d’un autre
copropriétaire d’origine turque. Le copropriétaire raciste, se réclamant de ses
origines alsaciennes, a donc agressé à coup de gaz lacrymogène le
copropriétaire d’origine turque, la femme de ce dernier et leur enfant de 11 an.
Il les a également injuriés de manière raciste par la suite et fut condamné
pour cela.
Quelques mois
après, il s’est exclamé dans la cour de l’immeuble ouverte au public : « Sale bougnoule,
vous n’êtes que tolérés ici », visant toujours le
copropriétaire d’origine turque. Ces propos ont été qualifiés par les
juridictions d’injure à caractère raciste en récidive, avec l’accord de la Cour
de cassation (Cass. crim., 8
avr. 2014, n° 12-87.497).
Très coûteux silence gêné
Suite à l’affaire
très grave ayant donné lieu à l’arrêt du 8 avril 2014, qui a été publié à la
demande de la Cour de cassation, on peut noter l’absence de commentaires de la
part des associations censées représenter les copropriétaires ou les
locataires.
Il ne faut donc
pas s’étonner des accusations, d’ailleurs injustes, portées contre l’AFOC, la
CGL, la CLCV, la CNL et la CSF sur la faible place qu’elles font aux personnes
issues de la diversité (Jeanne
DEMOULIN, La Gestion du logement social. L’impératif participatif, Presses Universitaires de Rennes, Rennes,
2016, p. 99).
Quand on lutte
contre les discriminations, ce que font les associations agréées précitées de
défense des habitants, il faut savoir le dire, car la nature a horreur du vide.
Si s’installe l’idée selon laquelle les acteurs établis sont indifférents aux
discriminations, d’autres en profitent.
En laissant
entendre que les populations originaires des pays musulmans, notamment, peuvent
être injuriées sans que personne ne réagisse, on encourage des phénomènes de
regroupements identitaires protestataires sur des fondements religieux.
Chocs des identités
L’auteur Julien
TALPIN, allié de Jeanne DEMOULIN lors de démarches publiques, est un acteur clé
de cette dynamique identitaire.
Il s’inspire des
mouvements américains où des personnes de couleur membres de gangs ont été
mobilisées par certaines églises protestantes [Julien TALPIN, « L’église comme une arme de lutte. La communauté
religieuse au service de la justice sociale à Los Angeles », dans Où
est passé la justice sociale ? Ivan SAINSAULIEU et alii (dir.),
Septentrion 2019, pp. 263 à 274].
Assez logiquement,
Julien TALPIN a soutenu le CCIF (Comité Contre l’Islamophobie en France) avec
l’espoir de mobiliser des populations perçues comme discriminées en utilisant
comme cadres des groupes religieux musulmans et de leurs dirigeants
traditionnels [Houda ASAL et Julien TALPIN, « L’égalité au cœur des luttes contre l’islamophobie », dans Communautarisme ?,
Marwan MOHAMMED et Julien TALPIN (dir.), PUF, 2018, pp. 85 à 98].
On rappelle que la
dissolution du CCIF a été prononcée le 2 décembre 2020 par le gouvernement
suite à l’horrible assassinat de Samuel PATY survenu le 16 octobre 2020.
Provocations
Si Julien TALPIN a
connu un réel succès dans sa démarche, c’est aussi en raison de provocations douteuses
contre les étrangers suite auxquelles les acteurs institutionnels installés
n’ont pas réagi.
On pense notamment aux
propos d’un membre de la Chambre des Propriétaires d’Île-de-France lorsque
cette dernière était encore intégrée à l’UNPI et qui a pu dire, à propos du
droit au logement opposable, tant réclamé par l’Abbé Pierre, « l’appel d’air grâce au tam-tam joue au fond de
l’Afrique » (Michel de PONCINS, « Logement social : la
catastrophe », Revue de l’Habitat n° 581, octobre 2012,
pp. 7 et 8).
On remarque, à ce
propos, que la censure n’est jamais une bonne idée. Ces affirmations plus que
douteuses parues dans la Revue de l’Habitat peuvent désormais être
rappelées à l’UNPI et à la Chambre Nationale des Propriétaires, issue de la
Chambre des Propriétaires UNPI d’Île de France.
Nul ne sait, en
effet, ce que pensent réellement des acteurs. Certains profèrent des propos odieux
sans vraiment le penser et d’autres ne disent rien mais n’en pensent pas moins.
Ce sont les mécanismes systémiques qu’il faut démonter. Et, de ce point de vue,
l’UNPI et la Chambre Nationale des Propriétaires peuvent mieux faire.
Instrumentalisation de la « race »
Fondamentalement,
le système de la copropriété à la française est vicié en ce qu’une personne
croit détenir un pouvoir dès qu’elle acquiert un lot. Le propriétaire pense
accéder à un statut supérieur. Cette suffisance est à l’origine de bien des
travers.
Edgard PISANI,
dans l’Utopie foncière, dénonçait cette
dérive.
L’obsession du
statut conduit ainsi à la fascination pour la hiérarchie des « races »,
qui représente la quintessence de l’acquis perpétuel que l’on détient quoi que
l’on fasse, dans un monde mouvant où le bilan des générations passées est
vivement remis en cause.
Bien entendu, la
« race » n’existe pas au plan génétique, certaines
populations dites blanches étant plus proches génétiquement de certaines
populations de couleur que d’autres populations dites blanches (voir Josué
FEINGOLD (« Race, racisme,
génétique et eugénisme », Mots, n° 33, déc. 1992, pp. 161 à
163).
Les racistes le
savent, et même les hitlériens se font rarement des illusions à ce sujet, mais
ils utilisent la couleur de peau ou la religion de certains pour les
stigmatiser et les affaiblir dans une stratégie de « lutte des places », pour paraphraser Michel LUSSAULT.
Remède organisationnel
La solution n’est
pas la Cancel Culture qui consiste à museler de prétendus grands
méchants racistes, comme dans les universités Outre-Atlantique (voir Richard
CRAVATTS, « Racism, Cancel Culture and Hypocrisy Come to
Harvard », visionné le 20 mars 2021).
Nul de doit jeter
ses contradicteurs dans le « Basket
of Deplorables » selon l’expression de Hilary CLINTON. Lutter réellement contre les discriminations
oblige à construire des dynamiques collectives structurées.
Lorsqu’une
personne s’intègre dans une dynamique collective et qu’elle est prise à partie
individuellement, on peut alors s’interroger sur l’existence d’une
discrimination systémique lorsque cette personne est une dame ou est issue de
la diversité.
Il faut alors
rappeler que l’on ne met pas en cause un individu isolé lorsqu’il parle au nom
du collectif structuré, mais le collectif lui-même, sauf à être accusé de
discrimination quand la personne visée est issue de la diversité.
Lorsque la mise en
cause visant un individu au lieu de viser le collectif auquel il appartient est
répétée malgré l’avertissement ci-dessus, alors on peut dire que la
discrimination systémique est prouvée. On peut qualifier se sexiste, de raciste et
de lâche celui qui agit ainsi, surtout s’il le fait à visage masqué et en se
faisant régulièrement censurer par les administrateurs de réseaux sociaux…
Quoi que le troll
ait dans la tête, il agit effectivement comme un sexiste, un raciste ou un
individu hostile à des personnes du fait de leur âge, de leur état de santé ou
de leur apparence physique. Le fait de passer au-dessus du collectif est la
seule preuve qui compte. L’individualisme forcené des copropriétaires les amène
justement souvent à passer au-dessus des collectifs…
Dangers de l’inorganisation
À l’inverse, il
est dangereux de stigmatiser les discriminations seul dans son coin, même si,
effectivement, on peut en être victime.
Un couple de
locataires ayant un enfant adolescent handicapé a ainsi découvert qu’un
copropriétaire chargé de relever les compteurs d’eau s’était introduit dans leur
appartement avec l’accord de l’enfant.
Le couple s’est
lancé dans une escalade d’invectives avec le copropriétaire et cela par voie
d’affichage dans les parties communes de l’immeuble en copropriété.
Le couple de
locataires a été jusqu’à évoquer un « racisme » contre
les locataires, tout en invitant le copropriétaire avec lequel ils étaient
fâchés à avertir son ami, qu’ils qualifiaient de « Grolard »
de faire attention à son poids car il allait « exploser »…
Or, cette attaque contre une personne du fait de son apparence physique était
aussi discriminatoire.
Le couple, qui
n’avait aucun droit de mettre des affichages en parties communes sans autorisation
du syndic, a été valablement expulsé à leur demande du bailleur (Cass., 3e
civ., 19 mai 2015, n° 14-15.835).
Tout le monde peut
donc dire des bêtises, surtout après des incidents, mais la sagesse est de
s’inscrire dans un collectif pluraliste où les accusations de discrimination
pourront être analysées avec le recul nécessaire. Prenons donc tous ce chemin. Cela évitera l’escalade
perpétuelle des invectives discriminatoires et des appels à museler ses
contradicteurs.
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